Une Académie mise à nu

par Laëtitia Gonfalon

C’est une loi bien connue en sociologie des organisations qu’une institution qui fait l’objet de critiques, même fondées, a toujours pour première attitude, premier réflexe de se couvrir, de se défendre car elle se sent attaquée. Il n’était donc pas surprenant que, suite à la parution du rapport de la CIASE qui met en cause l’Église de France, survînt une réaction de déni et de remise en cause de ce rapport.

Ce qui surprend toutefois, c’est que le coup soit parti d’une institution d’où on ne l’attendait pas, d’une institution supposée respectable : l’Académie catholique de France.

Il faut reconnaître que le rapport SAUVE, comme tout rapport, souffre d’imperfections et de manques. Reconnaître ainsi ses limites, ce n’est pas le désavouer, bien au contraire. C’est plutôt se prêter au dialogue ouvert et à la discussion. Le catalogue de 45 recommandations, dont certaines se décomposent elles-mêmes en plusieurs rubriques, peut parfois donner en effet l’impression d’une liste à la Prévert car il est bien difficile pour le commun des mortels d’en discerner le plan et la logique vu que ces propositions entremêlent des questions de droit pénal, de droit canonique, de gouvernance ecclésiale, d’aide aux victimes, voire de théologie, ce défaut congénital provenant très probablement du caractère multidisciplinaire de l’équipe composée par Jean-Marc SAUVE dont les experts ont dû livrer leurs conclusions, chacun dans son domaine de compétence.

Il n’en fallait pas plus pour que des académiciens se considérant eux aussi multidisciplinaires et affirmant couvrir des disciplines allant de l’ecclésiologie, à la sociologie en passant par la philosophie, le droit canon et le droit pénal, écrivent de façon faussement officieuse au Vatican pour démolir le rapport. Le propos de ce courrier que l’on laissait fuiter était en lui-même déplacé car ses auteurs esquivaient un débat ouvert et, tout en se recommandant de l’autorité d’une Académie dont ils n’avaient pas consulté les membres, cherchaient à se couvrir dans une note glissée en fin de document dans laquelle ils affirmaient que cette Déclaration n’engageait que la responsabilité de ses auteurs.

Pour résumer leur propos, ils voulaient vérifier la pertinence du rapport.

C’est pourquoi leur critique commence sur la remise en cause des chiffres présentés qui sont le résultat d’une extrapolation due à l’utilisation de modèles rodés par l’INSERM. Mais Bien mal leur en prend. Ils ne sont pas eux-mêmes des statisticiens. Ils ne semblent pas au fait des techniques de quantification dans les sondages qui, aujourd’hui, à partir d’échantillons bien identifiés, permettent d’établir des estimations dans des fourchettes très précises. D’ailleurs, quand bien même les chiffres présentés dans le rapport seraient gonflés en raison d’erreurs méthodologiques qui restent à démontrer, leur importance ne saurait être mise en doute. Et puis in fine quand bien même il n’y aurait eu qu’une seule victime, l’action de la CIASE n’en eût été pas moins justifiée. Le bon pasteur n’est-il pas celui qui doit laisser paître ses 99 brebis pour se porter secours de la centième emprisonnée dans des buissons d’épines et convoitée par le loup ?

C’est en effet le point faible du raisonnement purement cérébral de ces académiciens : leur méconnaissance des victimes. On attendrait d’eux qu’ils nous disent combien d’entre elles ils ont auditionné. Jean-Marc SAUVE et son équipe ont su éviter cette carence. Ils ont effectué un travail de terrain et c’est ce qui les rend crédibles n’en déplaise à nos bonnets carrés émérites qui se sont tenus à distance des victimes.

Mais prenons le temps de relever quelques-uns des arguments qu’ils mettent en avant car l’affaire est grave. L’un d’entre eux porte sur la remise en cause du caractère systémique des abus. Que disent-ils ?

« Ce mécanisme de responsabilité collective s’appuie sur l’idée qu’il y aurait à l’origine de ce désastre un ensemble de dysfonctionnements, révélateur d’une défaillance « systémique ». Mais là encore l’affirmation suscite le doute ».

Devons-nous le partager ? Pourquoi y aurait-il ce doute ? Parce que, nous les citons, « l’Église n’est pas une personne juridique. Or, la responsabilité implique une personne responsable, à laquelle le dommage peut être imputé en raison de son comportement et apte à assumer la dette de réparation.

Par conséquent, parler d’une responsabilité institutionnelle de l’Église peut avoir un sens d’un point de vue moral ou spirituel, mais d’un point de vue juridique cela n’en a pas. »

En raisonnant de la sorte nos académiciens n’envoient-ils pas la balle dans leurs propres buts ? L’Église n’a-t-elle pas avant tout une responsabilité d’un point de vue moral et spirituel dans la société quelle que soit la responsabilité juridique que l’État de droit lui confère dans le pays où elle est présente ? N’est-ce pas là l’essentiel de sa mission si l’on croit en elle et si l’on s’en présente comme les défenseurs ?

On le constate : tout au long de leur argumentation les auteurs de la Déclaration excipent tour à tour du droit canon aussi bien que du droit pénal selon que le recours à l’une ou à l’autre de ces disciplines les arrange pour leur démonstration. Cette façon de godiller entre les deux peut semer le trouble chez un lecteur non averti, mais elle ne saurait convaincre toute personne qui a sérieusement étudié le dossier.

Pour dénier le caractère systémique des crimes relatés, c’est au droit positif qu’ils ont recours en s’appuyant sur le fait que le prêtre n’est pas le préposé de l’évêque. En outre « l’Église n’est pas une personne juridique. Or, la responsabilité implique une personne responsable, à laquelle le dommage peut être imputé en raison de son comportement et apte à assumer la dette de réparation. »

Il faudrait alors qu’ils nous expliquent pourquoi, dès l’an 2001, Monseigneur PICAN a été condamné par la Justice française. Mais le mieux n’est-il pas de prendre un exemple pour illustrer cet aspect systémique qu’ils contestent ? Dans l’actualité la plus récente nous avons pris connaissance le 24 novembre dernier de la condamnation en correctionnelle de trois ans avec sursis de l’abbé Régis Spinoza, fondateur et ex-directeur de l’institution catholique l’Angélus, une école privée hors contrat qui était située à Presly dans le Berry. À y regarder de près cette peine paraît justifiée vis-à-vis d’un prêtre à caractère psycho-rigide, ignorant ou méprisant les lois sociales, un brin illuminé dans son désir de fonder un nouvel ordre enseignant et un brin sadique avec les enfants, ce qui lui a valu la fermeture de son école par les autorités. Mais si l’on y regarde de plus près encore les sévices dont il s’est rendu coupable auraient parfaitement pu être évités si cet homme n’avait pas été le produit d’un système qui l’avait poussé vers cette conduite funeste.

Produit d’un système de formation d’abord, en raison de son séminaire effectué à l’Institut du Bon Pasteur dirigé par des traditionalistes transfuges de la Fraternité Sacerdotale St Pie X. Cet institut avait d’ailleurs été cité quand l’un de ses prêtres s’était « illustré » si l’on peut ainsi s’exprimer à l’école St Jean Bosco de Riaumont dans le Pas de Calais, école également hors contrat dans cette cité scoute où un adolescent de 14 ans s’était suicidé en 2001. Cet institut était également connu à Bordeaux en raison là aussi de la pédagogie de l’école St Eloi qui avait soulevé bien des remous. Mais il ne fallait rien objecter : cet Institut du Bon Pasteur avait été adoubé et protégé par le cardinal RICARD. Il y a donc bien eu un engagement de la hiérarchie ecclésiale.

Mais l’appui du « système » ne s’arrête pas là puisque l’archevêque de Bourges, par la grâce de Dieu et l’autorité du siège apostolique, dans un décret du 28 juin 2016 avait cru bon de reconnaître l’institut l’ANGELUS comme une école catholique en vertu des 3 paragraphes du canon 803 du code de droit canonique. L’abbé Régis SPINOZA se sentait donc pleinement abrité et conforté par cette institution protectrice dont on aurait souhaité que les responsables soient convoqués au moins comme témoins assistés à son procès.

On comprend, à partir de cet exemple, que pour chaque cas d’abus présenté, en remontant l’arbre des causes selon leur méthodologie rigoureuse et en pistant les responsabilités, les enquêteurs de la CIASE en aient découvert ce caractère systémique réfuté par l’Académie Catholique.

Si nous nous attardons un peu plus sur cet exemple et la position inconfortable de l’archevêque de Bourges (1), nous découvrons aussi l’incroyable coup franc que nos académiciens tirent dans leur propre but en croyant protéger l’institution. Qu’écrivent-ils en effet ? Que « l’on ne peut pas se contenter d’inférer, de ce que des abus ont eu lieu, que la culpabilité de l’évêque est par là même établie sur la base d’un supposé devoir de vigilance dont le contenu paraît bien évanescent, sauf à distordre complètement le concept même de responsabilité du fait personnel »

Cette affirmation paraît assez extraordinaire : le devoir de vigilance d’un évêque serait bien « évanescent » ! Les fidèles auraient donc tort de « supposer » que leur évêque a un devoir de vigilance sur les communautés et les écoles qu’il accueille et érige dans son diocèse.

Devant l’énoncé d’une telle énormité on comprend aisément que le président de la CEF et la présidente de la CORREF aient démissionné de l’Académie catholique qu’ils ne pouvaient plus cautionner par leur adhésion.

Une institution qui, de plus, se livre à des procès d’intention à l’égard des membres de la CIASE qui se seraient « contentés du caractère simplement plausible ou vraisemblable » des faits qui leur étaient rapportés en se dispensant de « l’obligation naturelle de vérifier que les conditions d’engagement de la responsabilité sont bien réunies. Ce qui implique de s’assurer de la réalité des faits, ». C’est pourquoi Mme Derain de Vaucresson, présidente de l’INIRR, aurait tort de s’en tenir à la « vraisemblance des faits évaluée à partir du récit des personnes » et de s’appuyer sur les « témoignages déjà reçus par la CIASE ».

Quelle insulte également à la parole des victimes ! N’est-ce pas ce déni de l’institution qui amplifie leurs souffrances. L’Église est-elle pour elles « Mater et Magistra » ? Ou bien est-elle une marâtre ?

Heureusement il est des hommes d’Église qui expriment un avis contraire. On appréciera ainsi l’interview du cardinal Joseph De Kesel dans la revue Études de ce mois de décembre 2021. « J’ai rencontré moi-même beaucoup de victimes, dit-il, et j’ai entendu de leurs bouches des choses que je n’avais jamais entendues auparavant. Grâce à cela j’ai senti combien l’écoute était importante […] Pour la victime, ce n’est pas l’indemnisation qui est première mais l’écoute : être enfin écoutée, reconnue, prise au sérieux ».

À nous donc de juger en fin de compte qui doit être pris au sérieux.

Note

(1) L’auteure de ces lignes ne vise pas particulièrement l’archevêque de Bourges concerné par ce jugement récent. D’autres membres de l’épiscopat ont, de façon beaucoup plus systématique que lui, ignoré pendant des années des courriers leur signalant des abus ainsi que les plaintes de victimes. L’archevêque de Bourges, en outre, pensait disposer d’une marge de manœuvre limitée par le fait que l’Institut du Bon Pasteur est reconnu de droit pontifical depuis 2006 et bénéficie d’une convention avec le diocèse de Bordeaux. En soutenant les projets de Régis SPINOZA, il se conformait, il se comportait en agent du système mentionné par la CIASE qui remonte bien depuis l’Église de France jusqu’au Vatican. D’où les questions de gouvernance soulevées à juste titre par le rapport SAUVE.