Petite catéchèse sur la divinité du Christ

Un article de Marcel Neusch, dans le joural La Croix du 28 octobre 2010, page 16.

CHRIST, SEIGNEUR ET FILS DE DIEU Libre réponse à Frédéric Lenoir de Bernard Sesboüé Lethielleux/DDB, 190 p., 13 €

Le livre de Frédéric Lenoir, « Comment Jésus est devenu Dieu » (Fayard), est contestable du point de vue de la foi chrétienne, mais déjà du point de vue de l’histoire où il prétend se tenir.

Le succès que connaît le livre de Frédéric Lenoir Comment Jésus est devenu Dieu a de quoi surprendre, mais aussi de quoi inquiéter. Certes, c’est un livre qui a du style, et le portrait qu’il dessine de Jésus est séduisant. Rien de vulgaire dans son propos. Bernard Sesboüé, le théologien jésuite bien connu, ne fait aucune difficulté à reconnaître ses qualités : il juge l’ouvrage « intelligent, bien informé et bienveillant, pour tout dire sérieux ». S’il en est ainsi, pourquoi vouloir lui « répondre » ? Parce que ni l’historien ni le croyant n’y trouve son compte et ne peut signer sans réserve le portrait qu’il présente de Jésus.

Rappelons la thèse de Frédéric Lenoir. Elle se résume selon Bernard Sesboüé en une phrase : les premiers chrétiens n’auraient pas confessé la divinité de Jésus. Celle-ci serait une invention tardive, la foi des premiers témoins se ramenant pour l’essentiel aux deux propositions suivantes : « 1. Jésus est un homme qui entretient un rapport particulier avec Dieu, et joue un rôle salvifique comme médiateur entre Dieu et les hommes, sans être lui-même Dieu ; 2. Jésus est mort et ressuscité, et il continue à être présent aux hommes de manière invisible. » Ces deux affirmations réduisent singulièrement la figure du Christ et portent un coup mortel à la foi chrétienne.

Selon la thèse de Frédéric Lenoir, en effet, Jésus n’est pas Dieu, mais il l’est « devenu » au fil de l’histoire, ou, comme s’exprime déjà Pierre dans les Actes, il a été « fait » Seigneur. Les premiers chrétiens parleront de sa divinité en l’exprimant tout au plus dans la catégorie de l’« adoption ». Si Jésus est devenu « Dieu », au sens fort du titre, c’est par l’effet conjugué des conciles et des empereurs romains. Or, cette thèse ne résiste pas à un examen sérieux. Contrairement à ce que prétend Frédéric Lenoir, on n’a pas attendu les conciles, notamment celui de Chalcédoine (451), pour confesser la divinité de Jésus.

Dès le Nouveau Testament, la foi en la « divinité » de Jésus est fermement attestée, et les deux siècles suivants sont en parfaite continuité avec elle. Si, aux IVe et Ve siècles, la « divinité » de Jésus revient dans le débat, c’est le signe, pour Frédéric Lenoir, que la question de son identité divine était loin d’être claire. En réalité, souligne Bernard Sesboüé, la nouveauté n’est pas dans la foi, mais dans le langage. C’est un problème d’inculturation du christianisme en milieu grec. Et l’intervention du pouvoir politique n’est pas d’ordre dogmatique – c’était l’affaire des évêques – mais d’ordre politique, l’unité de foi devant assurer l’unité de l’empire.

Cette « petite catéchèse », venant d’un théologien et historien du dogme, s’imposait, car ce qui est en jeu dans ce débat, ce n’est pas seulement un conflit d’interprétation sur tel ou tel détail historique, même si le désaccord avec Frédéric Lenoir se situe aussi à ce niveau. Plus grave, il y va du fondement même de la foi. Bernard Sesboüé, dont on pourra relire par ailleurs son livre magistral : Jésus-Christ dans la tradition de l’Église (Desclée), écrit : « Je me suis senti poussé à écrire ce livre, parce que j’ai l’intime conviction que dans la thèse proposée par Frédéric Lenoir il y va en fait du tout du christianisme… » Il précise encore : « Tout cela correspond à un enjeu capital où il y va du cœur de la foi… La divinité du Christ au sein du mystère trinitaire est l’article qui fait tenir ou tomber la foi chrétienne. »