Victor Hugo spirite, de mieux en mieux dévoilé

Pour les trois quarts inédit, ce recueil des expériences de communication avec les esprits relatées par Victor Hugo se révèle saisissant, dévoilant l’inspiration de toute son œuvre après 1853

par Sabine Audrerie, dans La Croix du 3 juillet 2014.

Le Livre des Tables Les séances spirites de Jersey de victor Hugo Édition de Patrice Boivin, Folio classique, 760 p., 8,40 €

Il y a quelques jours, de nombreux lycéens des séries S et ES clamèrent spontanément leur mécontentement sur les réseaux sociaux au sortir de leur épreuve du bac de français. L’objet de leur diatribe (d’une trivialité grossière) : Victor Hugo. Le pauvre homme n’en demandait pas tant, disparu il y a cent vingt-neuf ans, et dont le seul tort fut de composer le poème sur lequel ils avaient à plancher, Crépuscule, issu des Contemplations . «  Avez-vous vu Vénus au sommet des collines ?/Vous qui passez dans l’ombre, êtes-vous des amants ?/Les sentiers bruns sont pleins de blanches mousselines ;/L’herbe s’éveille et parle aux sépulcres dormants. »

Avant d’en rejeter le sens hermétique à leur entendement, les élèves auraient peutêtre gagné à apprendre que ce poème de 1856 – et l’ensemble des œuvres composées par Hugo après 1853 – était une émanation directe des séances spirites dont il avait fait l’expérience à Jersey, lors de son exil après le coup d’État de Napoléon III ; expériences qui devaient changer à la fois sa manière d’écrire et ses inspirations.

Victor Hugo spirite, l’affaire est connue (on sait que c’était la mode dans les cercles éclairés de l’époque romantique), mais de ses récits on n’avait pu lire qu’une infime partie, présente dans la volumineuse édition de ses œuvres complètes de 1968. Le Livre des Tables qui paraît aujourd’hui est aux trois quarts inédit. Et il y a de quoi en faire grand bruit, puisque ces cinq cents pages de Victor Hugo sont aussi de la plume de Molière, Shakespeare, Eschyle, Mozart, Dante ou Racine, ou du moins de leurs esprits, qui s’invitèrent pendant plusieurs mois au guéridon de la bâtisse blanche Marine Terrace. Hugo et ses amis y conversaient aussi avec la Mort ellemême, avec le Drame, la Tragédie, les anges et Jésus. Dans sa préface, Patrice Boivin explique comment Hugo fut initié, peu après le drame de la mort de sa fille Leopoldine, qui constitua une ouverture vers ces pratiques. Une découverte à la dimension messianique pour Hugo, qui s’est vu le possible bâtisseur d’une nouvelle religion faite d’un christianisme élargi par la métempsycose, se sentant alors véritablement investi d’une mission métaphysique. Réalité pure ? Supercherie de Victor Hugo ? De son entourage ? Nul ne sait rien, sinon que le style de chacun de ces illustres hommes de lettres ressemble fort à celui de l’auteur des Misérables . De son côté, l’écrivain demeurera jusqu’à sa mort persuadé de la réalité de ces communications, et on dispose aussi des témoignages d’autres personnes présentes (Adèle Hugo et Auguste Vacquerie, notamment). Sans certitude, les chercheurs soulignent la possibilité que son fils Charles ait pu jouer un rôle de medium puisque c’est lui qui tenait le crayon pour retranscrire les mots des esprits, faisant, volontairement ou non, « du Victor Hugo ».

L’histoire des cahiers de compte rendu des séances eux-mêmes est intéressante, puisqu’ils n’ont cessé depuis cent cinquante ans ans de disparaître et réapparaître au gré des legs et des recherches, continuant de faire planer un mystère autour du récit de ces expériences. Ils se volatilisèrent un temps pour réapparaître en 1962, puis en 1972. Fort de cette information, on ne peut que rester sans voix en lisant les conseils que « la Mort » donne à Hugo le 29 septembre 1854, qui concerne la postérité de son travail : «  Que le tien soit vivant, qu’à de certains intervalles il se mette à parler à la postérité et à lui dire des choses inconnues, et qui auront eu le temps de mûrir dans la terre. (…) Échelonne dans ton testament tes œuvres posthumes de dix en dix ans, de cinq en cinq ans. Vois-tu d’ici la grandeur d’un tombeau qui, de temps en temps, à des heures de c r i s e h u m a i n e , q u a n d i l passe de l’ombre sur le p r o g r è s , q u a n d i l passe des nuages sur l’idée, ouvre tout à coup ses deux lèvres de pierre et parle. (…) Jésus-Christ n’a ressuscité qu’une fois ; toi tu peux emplir ta tombe de résurrections, tu peux, si mon conseil te semble bon, avoir une mort inouïe ; tu diras en mourant, vous me réveillerez en 1920, vous me réveillerez en 1940, vous me réveillerez en 1960, vous me réveillerez en 1980, vous me réveillerez en l’an 2000