Les bonnes affaires du sanctuaire de Medjugorje

Trois milliards d’euros : c’est a minima le chiffre d’affaire du sanctuaire marial de Međugorje, en Herzégovine, depuis le début des « apparitions », toujours pas reconnues par le Vatican, en 1981. L’essentiel de ces sommes colossales alimentent l’économie grise, et les autorités laissent faire, au RISQUE de voir le chaos et l’appât du gain remettre en cause la survie même du pèlerinage.

Par Andrea De Noni

Vencel Čuljak est le premier économiste à avoir décidé de consacrer une recherche scientifique au fonctionnement de l’économie du sanctuaire de Međugorje, qui attire chaque année des milliers de pèlerins, sans toutefois avoir jamais obtenu la reconnaissance officielle du VATICAN.

Selon les résultats de sa recherche, en 33 ans, depuis 1981, cette petite bourgade d’Herzégovine aurait drainé quelque trois milliards d’euros. Toutefois, un tiers seulement de cette somme aurait été réalisé légalement. Le reste, soit 1,9 milliards d’euros (68% du total), serait le produit de l’économie informelle – une somme qui aurait rempli les poches de l’Église, des banques locales, des particuliers et des partis politiques, qui aurait surtout été utilisée pour des investissements dans le secteur immobilier, mais aussi pour l’achat de biens de luxe ou pour améliorer le niveau des HÔTELS et des services de la ville.

BUSINESS sauvage

Cette somme de trois milliards d’euros serait le chiffre des revenus dégagés par la ville de Međugorje depuis la première apparition supposée de la Vierge Marie aux jeunes voyants, le 24 juin 1981, mais elle ne représente pas le volume d’affaires total du sanctuaire. À ces trois milliards, il convient d’ajouter les frais de transport payés par les pèlerins étrangers ou bosniens (soit quelque 8,6 milliards d’euros), ainsi que les revenus de l’église locale, qui – sans compter les legs et les donations – aurait réalisé 290 millions d’euros grâce au tourisme religieux. On arrive donc à un total incroyable de 11,6 milliards d’euros.

La commune de Međugorje compte 4.600 résidents, mais abrite pas moins de 550 ENTREPRISES, dont 41% seulement respectent la loi, selon les recherches de Vencel Čuljak. Elles emploient 5.800 personnes, dont 58% travaillent au noir : ils ne sont pas déclarés légalement, et leurs employeurs ne paient aucune taxe ni aucune cotisation sur leurs salaires. On pourrait encore ajouter qu’environ 57% des constructions commerciales ou résidentielles du sanctuaire ont été édifiées sans aucun permis de construire.

Si l’on considère le nombre de pèlerins qui séjournent chaque année à Međugorje, les seules taxes de séjour devraient fournir aux alentours de 600.000 euros aux caisses de l’administration locale. Or, l’an dernier, les HÔTELS locaux n’ont facturé que 73.000 marcs convertibles, c’est-à-dire à peine 36.000 euros !

CES DONNÉES assez fascinantes sur le volume des affaires qui ont lieu à Međugorje sont le résultat de la longue et méticuleuse recherche de Vencel Čuljak, un chercheur d’Osiejk, qui vient de soutenir son doctorat sur le thème : « Medjugorje en tant que marque mondiale et destination principale du tourisme religieux ».

Une situation chaotique

Vencel Čuljak explique que des centaines de livres ont été écrits à propos des aspects plus spirituels du sanctuaire de Medjugorje. Toutefois, les questions économiques ne sont jamais abordées. « Sur ces thèmes il n’existe aucune étude officielle, aucune analyse économique ni aucun commentaire qui puisse expliquer la situation actuelle avec des indicateurs précis », explique-t-il. « Aujourd’hui encore, la réalité de Međugorje est en fait assez chaotique ».

« Il est difficile d’imaginer un pays qui dispose d’un sanctuaire religieux si important, et qui n’essaie pourtant pas d’exploiter cette ressource du point du vue du marketing ». Selon Vencel Čuljak, « il est encore plus difficile de comprendre pourquoi un gouvernement qui peut compter sur un site d’importance mondiale comme Međugorje, ne fait rien de tout pour protéger cette ressource. Il faudrait exploiter ce tourisme religieux pour le transformer en un atout de long terme pour toute l’économie bosnienne ».

La situation actuelle à Međugorje est loin d’être optimale. Selon Vencel Čuljak, le chaos économique et le manque de régulation efficace du marché ont des effets évidents sur l’organisation des espaces, de l’architecture, des taxes et des transports publics. « On peut clairement parler d’une situation d’anarchie contrôlée, dont tous les acteurs sur le terrain sont conscients, une situation qui favorise naturellement le crime et la corruption ».

Redéfinir les règles du jeu

« Jusqu’à présent, personne n’a sérieusement pensé affronter ce problème », accuse le chercheur, « personne n’a osé parler des sommes énormes d’argent qui circulent illégalement dans la ville, et qui, à quelques honorables exceptions près, terminent dans les poches des propriétaires des restaurants, des hôtels, des pensions, des boutiques de souvenirs ou des agences de tourisme … il est évident que ces sommes sont la première cause des problèmes de la ville. L’enrichissement illégal est la principale préoccupation de tous ceux qui travaillent à Međugorje ».

Selon le chercheur, la situation dans la ville est totalement hors de contrôle, tant pour le gouvernement et l’église locale que pour le gouvernement de la Fédération. « Si cette situation devrait rester inchangée, l’avenir est sombre pour Medjugorje. Ce serait dommage pour tous ceux qui travaillent en lien avec le tourisme religieux dans cette région. La solution doit être une réforme générale du système. Il n’est pas suffisant de sanctionner les responsables d’irrégularités : il faut établir un nouveau code de conduite, que tout le monde devra respecter ».