Marie, modèle de fidélité

ELLE EST FIDÈLE À L’ESPRIT SAINT QUI LA CONDUIT À LA CONSÉCRATION TOTALE AU PÈRE

Deux indications nous mettent sur cette piste.

– Celle de la mémoire liturgique de la présentation de Marie, le 21 novembre. L’Église célèbre la Présentation de Marie, c’est-à-dire le don total que Marie fit d’elle-même à l’aube de sa vie consciente. C’est un évangile apocryphe qui en parle, le Protévangile de Jacques, écrit vers 150 (1). Nous n’avons aucune trace biblique d’une telle démarche de Marie, mais nous pouvons la supposer comme le fruit du travail de l’Esprit Saint en son cœur.

– Celle de sa question à l’ange Gabriel : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? » « L’évangéliste parle de Marie comme « d’une jeune fille accordée en mariage à un homme nommé Joseph » (Lc 1,27). […] Selon la coutume du peuple hébreu, le mariage se concluait en deux étapes : on célébrait d’abord le mariage légal (vrai mariage), et c’est seulement après un certain temps que l’époux faisait venir l’épouse chez lui. Avant de vivre avec Marie, Joseph était donc déjà son « époux » ; toutefois, Marie gardait au fond d’elle-même le désir de réserver exclusivement à Dieu le don total de soi. On pourrait se demander de quelle manière ce désir se conciliait avec le « mariage ». La réponse ne vient que du déroulement des événements du salut, c’est-à-dire de l’action spéciale de Dieu même. Depuis l’Annonciation, Marie sait qu’elle doit réaliser son désir virginal de se donner à Dieu de façon exclusive et totale précisément en devenant mère du Fils de Dieu. La maternité par le fait de l’Esprit Saint est la forme de don que Dieu lui-même attend de la Vierge « accordée en mariage » à Joseph. Marie prononce son fiat. » (Jean-Paul II, La vie et la mission de saint Joseph n° 18). (2)

ELLE EST FIDÈLE À LA VOLONTÉ DU PÈRE, VIS-À-VIS DUQUEL ELLE A ENGAGÉ TOUTE SA VIE

« Je suis la servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole ». Cela l’engage sur la voie du mariage, et dans une vie consacrée à la mission du Messie. Pour obéir au Père et servir le Messie, c’est comme épouse et mère qu’elle vit les joies et les difficultés de la vie, dans un mariage virginal, en dépendance amoureuse à Joseph ; c’est particulièrement visible dans l’épisode de la fuite en Égypte vécue sous la conduite de Joseph.
« Tout commence, en Marie, au moment où elle dit oui au Seigneur ; c’est un oui radical et définitif, mais dans l’obscurité lumineuse de la foi. « Marie, elle aussi, a accompli dans la foi son pèlerinage » (LG 58). Cela fait que le oui de Marie se rapproche davantage des exigences et des limites des nôtres. À nous aussi il est demandé de fermer les yeux, de faire le saut dans la foi et de dire oui au Seigneur, à son adorable volonté, à son plan d’amour sur nous. Peu importe que cela nous coûte, que nous ne comprenions pas. Il a suffi à Marie de s’appuyer sur une triple sécurité : Dieu l’aimait d’un amour de prédilection ; Dieu lui demandait ce consentement ; à Dieu, rien n’était impossible. La fidélité de Marie s’explique dans ces trois paroles de l’ange : « Réjouis-toi », « Ne crains pas », « À Dieu, rien n’est impossible ». À partir de la certitude de ces trois éléments, il est possible de dire « oui » à Dieu de toute son âme. Même en ce qui est humainement difficile et absurde. Alors l’âme se rassérène et se remplit de joie, parce qu’elle se sent inébranlablement liée à l’amour de Dieu.
La fidélité de Marie est faite de pauvreté, de confiance, de disponibilité. Quand quelqu’un comprend et accepte ses limites, alors seulement il s’abandonne au Dieu pour qui tout est possible et lui dit sereinement oui. Marie le dit à l’Annonciation, mais ce fut là le commencement d’un Fiat quotidiennement répété jusqu’à la Croix, jusqu’à la Pentecôte, jusqu’à l’Assomption. Dans le Fiat de Marie, le Christ naquit, de même naquit l’Église, de même, l’humanité fut réconciliée avec le Père. C’était un Fiat prononcé une fois pour toutes ; mais il était important de le renouveler chaque jour, parce que chaque jour apportait une expression nouvelle de la volonté du Père, parfois humainement déconcertante, douloureuse ou incompréhensible.
Pensons à la fidélité que tous — d’une façon ou d’une autre — nous avons engagée un jour comme réponse généreuse au Dieu de l’alliance. Si cette fidélité ne s’appuie pas constamment sur la fidélité de Dieu, elle peut se rompre très facilement (et, de fait, elle est fréquemment brisée par notre faute). Demandons-nous si, quoique non rompue, notre fidélité est quotidiennement nouvelle et, conséquemment, joyeuse et féconde ? La fidélité se détériore à la longue, à cause de la tristesse et de la crainte avec lesquelles nous la vivons. Ou encore, sa fécondité diminue à cause de la nonchalance avec laquelle nous la traînons. La vie est quotidiennement nouvelle, si nous gardons en permanence un cœur attentif capable d’accueillir chaque jour une nouvelle parole du Seigneur et d’y répondre généreusement « oui ». Mais cela suppose un acte de foi très grand dans l’inaltérable fidélité de Dieu. Marie vécut profondément cette sécurité du Dieu intime et fidèle : « Réjouis-toi, pleine de grâce » ; c’est-à-dire, « réjouis-toi », l’aimée, la particulièrement choisie, la prédestinée. C’est là la source de la disponibilité absolue de Marie. » (Un chemin d’espérance avec Marie, Cardinal Eduardo Pironio, Cerf, 1988, pp. 57-92).

ELLE EST FIDÈLE À LA PERSONNE DU FILS, DE SON FILS JÉSUS

Sa maternité divine se déploie dans l’ordinaire d’une vie familiale sainte et unique en son genre.
* Cette fidélité au Fils est acceptation de la vie cachée comme volonté divine : – travail de charpentier charron de Joseph, sans doute ne faisait-elle pas la comptabilité de l’entreprise (!) mais elle était à l’évidence au service des « clients » qui passaient à l’atelier- acceptation des servitudes matérielles d’une vie de famille : le marché, le jardin, la maison, la lessive et tutti quanti. La spiritualité de l’incarnation se vit plus dans le rase-mottes que dans les élans stratosphériques… La vie ordinaire est le lieu de la fidélité. C’est pourquoi l’Église nous donne la sainte Famille dans la vie ordinaire comme modèle (3).
* Cette fidélité au Fils est découverte de la mission du Fils, de son fils. À Nazareth, nous ne sommes pas au monastère, mais dans une famille : comment imaginer que Jésus n’ait pas partagé certains aspects de sa mission, dans le dialogue familial ? Elle reçoit donc peu à peu des lumières particulières, mais aussi, elle pénètre dans des obscurités abyssales. Si Marie est désarçonnée par la conduite et la réponse de l’enfant Jésus à douze ans : « Ne saviez-vous pas que je dois être chez mon Père ? », elle témoigne d’une grande assurance à Cana : « Ils n’ont pas de vin »… Dans le premier cas, Luc écrit : « Ils ne comprirent pas la parole qu’il venait de leur dire » (Lc 2,50), d’où aussi l’addition : « sa mère gardait fidèlement toutes ces choses en son cœur » (Lc 2,52). Dans le second, Jean souligne l’étonnante répartie de Jésus : « Que me veux-tu, femme ? Mon heure n’est pas encore venue », et l’aisance tranquille de Marie qui dit aux servants : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le » (Jn 2,4-5). Dix-huit années séparent les deux attitudes de Marie : de l’ignorance, elle est passée à la connaissance ; mais en tout, elle s’est laissée conduire par le Fils, dans l’Esprit, pour mieux obéir au Père.

ELLE EST FIDÈLE À LA MISSION DU FILS, LE MESSIE

La mission du Fils vient du Père : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et de mener son œuvre à bonne fin » (Jn 4, 34) De Cana à la Croix, Marie suit Jésus, à la fois dans l’effacement, et dans l’approfondissement.
* Sa feuille de route comporte une parole terrible (4) : « Un glaive transpercera ton âme » (Lc 2,35). C’est donc naturellement et surnaturellement qu’elle se trouve sur le chemin du Golgotha comme l’affirme la tradition, et qu’elle se retrouve à la Croix, avec Jean. Elle est pleinement à l’unisson du Fils. Comment n’aurait-elle pas déjà pressenti cette mission dans la croix dans la méditation du quatrième chant du serviteur souffrant (Is 52,13-53,12) que nous lisons au cours de la liturgie de la passion le vendredi saint ?
* Et c’est à la croix que se déploie l’autre partie de sa mission, devenir mère de l’Église : « Jésus donc voyant SA mère et, se tenant près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à LA mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici TA mère. » Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit chez lui » (Jn 19-26-27). On remarque, en lisant de près le texte grec de ces versets de l’évangile selon saint Jean, la succession : SA mère — LA mère — TA mère, qui n’est pas suffisamment mise en valeur dans nos traductions françaises. La « femme » qui était la mère de Jésus devient, dans le verset central, la mère par excellence, et enfin, la mère du disciple. En d’autres termes, la mère de Jésus est, dans sa fonction maternelle, donnée à un autre, au disciple. Voilà le don que Jésus fait au disciple aimé, à chacun de nous (5).

ELLE EST FIDÈLE À LA MISSION QUE LE FILS LUI A DONNÉE À LA CROIX, ELLE EST FIDÈLE À L’ÉGLISE.

* Présente au Cénacle, elle intercède avec les disciples pour accueillir l’Esprit de Pentecôte ; elle est pleinement mère, comme les mamans le sont auprès de leurs enfants dans les moments importants de leur vie… Bien que nous ne sachions rien d’une relation des apôtres avec Marie, il y a tout lieu de supposer une proximité pendant les années de ministère de Jésus et pendant les débuts de la mission de l’Église (6)
* Présente sans doute à Éphèse aux côtés de Jean, elle devient le témoin privilégié de Jésus (7), et Jean bénéficie d’un approfondissement spirituel à la mesure de la mission de la mère. Il nous donnera à la toute fin du premier siècle le livre de l’Apocalypse, ses trois lettres, son Évangile… (8)
* Après la dormition (9), emportée par son Fils dans la gloire de l’Assomption (« À nouveau je viendrai et je vous prendrai près de moi, afin que, là où je suis, vous aussi », Jn 14,3), partageant la résurrection de la chair, associée à la royauté de Jésus, Marie reçoit alors les moyens de sa mission universelle, comme médiatrice de la clémence dans le temps qui nous sépare de la venue glorieuse de son Fils.
* C’est ainsi qu’elle apparaît ici ou là pour conforter les frères et sœurs de son fils dans leur marche à sa suite. Comme une grand-mère qui s’occupe de ses petits enfants, mais qui, au-delà de la mort, continue à intercéder pour eux. Songeons en France à quel point nous avons été chouchoutés, particulièrement au XIX° siècle : c’est un chapitre trop long pour être décrit ici.

ELLE EST MODÈLE DE FIDÉLITÉ PAR SA CONSTANCE

On peut caractériser la fidélité de Marie en soulignant qu’elle est fidèle aux dons qui lui ont été faits, essentiellement par sa réponse irréprochable, constante, sainte. C’est aussi notre chemin, quel que soit notre état de vie, notre profession, notre âge, notre mission dans l’Église.

« Accorde-nous, Seigneur, de trouver notre joie dans notre fidélité : car c’est un bonheur durable et profond de servir constamment le Créateur de tout bien » (prière d’ouverture de la messe du 33° dimanche).

La fidélité que nous devons à Dieu, nous la trouvons dans la constance de notre service. Elle est source de notre joie. Elle sera la mesure du jugement de Dieu, quand il nous accueillera auprès de Lui.

Prenons une image un peu « cavalière », celle de l’équitation : le cheval est le plus vieil ami de l’homme. Il le transporte pour mener le combat, pour la joie de partir à la découverte de mondes nouveaux, mais aussi il porte et tire les outils pour cultiver et transformer la terre que le Créateur a confiée à l’homme.
On peut considérer que le cheval a trois allures : le pas, le trot et le galop. L’allure la plus commune, mais la plus inconfortable est le trot. Et la manière, de la rendre plus confortable pour le cavalier et la moins fatigante pour le dos du cheval est le « trot enlevé ». Le cavalier se lève en prenant appui sur ses étriers. Cherchant ainsi à se poser en rythme sur la selle, un temps sur deux. Il fixe son rythme sur l’antérieur gauche, retombant sur sa selle quand celui-ci repose par terre. Cette collaboration pourrait être vue comme une fidélité entre le cavalier et sa monture. Elle demande de la constance et procure une certaine joie du au confort que cela permet. Elle demande une certaine implication en vue du bien de l’autre : « Qui veut aller loin ménage sa monture ! », c’est-à-dire : suivre le mouvement de celui qui nous porte.

On a pour coutume d’appeler les chrétiens sous le nom de « fidèles ». Reprenons notre image d’équitation : la fidélité consiste en un mystère d’adhésion, de collaboration et de participation. C’est-à-dire une attitude permanente de conversion, pour toujours mieux se disposer à la réception de la Grâce.
La fidélité chez le croyant impose une attitude dynamique qui le transporte et le transforme. Elle impose une implication de tout l’être pour correspondre au mouvement du Christ, à ses motions, aux événements que Dieu permet et à la réalité de ce que je suis.Cette implication est un acte libre. C’est moi qui choisis ma vie, c’est moi qui discerne le meilleur pour moi. Si on demande au cavalier : « où vas-tu ? » et que celui-ci répond : « je ne sais pas, demande au cheval ! », alors on pourrait se demander qui est le plus bête des deux ! Non, « Ma vie, nous dit Jésus, c’est moi qui la donne. » Je choisis de me laisser guider par Celui « qui porte tout ». Dieu m’invite à être acteur de ma sainteté. Ni lui ni les autres ne m’y obligent. C’est ma liberté et ma responsabilité de me laisser porter par Sa Mort et Sa Résurrection.

« Ce qui est dans la bonne terre, ce sont ceux qui, ayant entendu la Parole avec un cœur noble et généreux, la retiennent et portent du fruit par leur constance » (Lc 8,15).« C’est par votre constance que vous sauverez vos vies ! » (Lc 21,19).« Voilà qui fonde la constance des saints, ceux qui gardent les commandements de Dieu et la foi en Jésus » (Ap 14,12).

D. Auzenet + 8 décembre 2014

NOTES

(1) « Le Protévangile de Jacques relate une tradition qui veut que Marie ait été élevée au temple de Jérusalem depuis l’âge de trois ans jusqu’à celui de douze. En d’autres termes, c’est à Jérusalem qu’elle aurait passé son enfance. Puisqu’elle était de la tribu de David, elle eut le privilège, avec d’autres jeunes filles, de tisser le voile du Temple. « Il y eut un conseil de prêtres. Ils dirent : « Faisons un voile pour le temple du Seigneur. » Le grand prêtre dit : « Convoquez-moi les vierges sans souillure de la tribu de David. » Les serviteurs partirent. Ils trouvèrent huit vierges. Le grand prêtre se souvint de Marie : elle était elle aussi de la tribu de David et sans souillure devant Dieu. Les serviteurs s’en allèrent et l’amenèrent. Ils firent entrer les vierges dans le temple du Seigneur. Le grand prêtre dit : « Tirez au sort pour savoir qui filera l’or, l’amiante, le lin, la soie, la pourpre violette, l’écarlate et la pourpre véritable. » À Marie échurent la vraie pourpre et l’écarlate et, les ayant prises, elle s’en retourna à sa maison » (10, 1).Lorsqu’elle eut douze ans et que dans la tradition juive elle eut atteint l’âge nubile, les prêtres du Temple se réunirent et se demandèrent : « Qu’en ferons-nous, pour qu’elle ne souille pas le temple du Seigneur ? » Le grand prêtre, après avoir prié, décida de la confier à Joseph pour qu’il la garde. Joseph, rempli de crainte, la prit sous sa protection. » (P. Frédéric Manns, « Heureuse es-tu, toi qui as cru. Marie, une femme juive », Presses de la Renaissance, 2005, pp. 155-179).

(2) La persévérance devant l’incompréhensible, par le recours à Dieu. « Marie a conclu ses fiançailles et n’a pu les envisager autrement que comme une démarche qui la conduirait au mariage au sens complet du mot. Cependant elle ne pouvait se comprendre elle-même en une telle situation, car l’orientation la plus profonde de sa vie y contredisait. Lui eût-on demandé quel tour devaient donc prendre les choses, elle eût répondu qu’elle n’en savait rien. Elle savait et ne savait pas : situation qu’elle eût été incapable de définir, attente qu’elle n’eût pu justifier.Marie s’est fiancée, ou plutôt elle a donné son accord aux fiançailles que lui proposait son tuteur, — mais en même temps une conviction intime lui disait que les choses suivraient un cours à part.Dans un état où, tout à la fois, elle sait et ne sait pas, dans cette attente qu’elle ne peut définir, elle vit pour Dieu dans la confiance. C’est l’attitude déjà notée et que j’appellerais proprement ‘ mariale’ : la persévérance devant l’incompréhensible, par le recours à Dieu. Quand enfin l’Ange apportera son message : Marie doit devenir Mère par la puissance de l’Esprit de Dieu, son âme profonde dira : ‘C’était donc cela ! ‘ » (Romano Guardini, La mère du Seigneur, Cerf, 1961, pp.35-37).

(3) « L’Église nous donne la sainte Famille dans la vie ordinaire comme modèle parce que, dans une certaine mesure, il en est de même pour nous. Nous avons eu notre lumière pour partir, nous avons eu notre appel, nous l’avons expérimenté. Dieu ne nous a pas tracé les détails de la route, mais il nous a fixé le but, indiqué le chemin. Nous avons reçu cette lumière de Dieu dans la joie, dans l’enthousiasme, avec des promesses de fidélité, de don de nous-mêmes. Et soudain, ou presque immédiatement, nous voici dans la grisaille de la vie ordinaire. Cette grande vocation, cet idéal, les voici ensevelis, pour ainsi dire, dans les événements quotidiens, dans les difficultés banales, dans les contacts, parfois pénibles, avec les autres, dans le travail quotidien qui exige un effort soutenu. Il semble que ce ne soit plus la même chose.Comment allons-nous réaliser notre idéal ? Comment cette lumière de Dieu qui nous a été donnée, va-t-elle vraiment être réalisée par nous ? Nous ne savons pas : c’est la grisaille de la vie ordinaire, de la vie de Nazareth. C’est le temps des réalisations… La bonne volonté et la fidélité, le don de soi, que nous réalisons sous la lumière de Dieu ne suffisent pas à Dieu. Il veut que nous les réalisions dans cette vie ordinaire, dans l’obscurité de la foi. Il veut que le souvenir des grâces reçues suffise à notre fidélité.À Nazareth, Jésus est Dieu, il est le Fils de Dieu, le Verbe incarné. Marie est toujours la Vierge, immaculée, Mère de Dieu et Mère de l’Église ; Joseph est toujours le saint incomparable, le père nourricier. Qu’importe l’obscurité : l’or de la substance demeure. Pour nous aussi, qu’importe l’obscurité qui enveloppe le mystère de notre vocation et de sa réalisation dans les difficultés quotidiennes, obscurité que tout semble rendre plus épaisse à certains moments : la parole de Dieu reste.Ce qui nous a été dit et ce qui nous a été demandé, ce qui nous a été promis, l’idéal que Dieu nous a fait entrevoir, cela se réalisera. À quelle condition ? C’est que nous y croyions… qu’à travers tout, le regard de notre foi soit fidèle, pénétrant, constant.À cette fidélité de la foi… s’ajoute l’effort quotidien… Nous voulons rester fidèles et faire tout ce qu’exige la réalisation de cet idéal, l’ascension de ces sommets. Nous le ferons, si dure que soit la marche, si grandes que soient les difficultés, et nous le ferons avec amour.Cela exigera évidemment un effort violent : il n’y a que les violents qui parviennent à la perfection. Mais pourquoi mesurer la difficulté de demain ? Prenons chaque jour, simplement, le travail qui nous est demandé, humblement et paisiblement… Voilà la vie de la sainte Famille de Nazareth. » (P. Marie-Eugène, La Vierge Marie toute Mère, Éd. du Carmel, 1988, pp. 102-106.)

(4) Un glaive te transpercera l’âme. « Marie se présente devant Siméon qui les accueille, elle et l’Enfant, les reconnaît dans le Saint-Esprit : en contemplant ces deux missions, celle du Fils et celle de la Mère, il s’aperçoit d’un nouveau lien entre eux et contribue par sa vision et sa bénédiction à le nouer de façon nouvelle et plus indissoluble. […] Elle a achevé la première partie de sa tâche : le fruit de son oui est là, et il pourrait sembler que l’essentiel soit accompli et que la mission s’éloigne d’elle. Mais par les paroles de Siméon sa mission lui est rendue, elle l’accueille de nouveau en elle, non plus comme sa mission propre et personnelle, mais à présent comme celle du Fils, celle de la Passion ». (Adrienne von Speyr, La Servante du Seigneur, Lethielleux, 1980, pp. 85-87).* « Ce que dit Syméon apparaît comme une seconde annonce faite à Marie, car il lui montre la dimension historique concrète dans laquelle son Fils accomplira sa mission : dans l’incompréhension et dans la souffrance. […] Elle lui révèle… qu’elle devra vivre l’obéissance de la foi dans la souffrance aux côtés du Sauveur souffrant, et que sa maternité sera obscure et douloureuse ». (Jean-Paul II, Marie mère du Rédempteur, n° 16).* « Pour Marie le sommet était la naissance ; elle y était à la fois au comble de son activité et de sa passivité, au comble de son abandon : elle enfantait elle-même l’Homme-Dieu. Pour le Fils le sommet sera la Croix ; il y sera comme elle au comble de son activité et de sa passivité, au comble de son abandon : par l’effort suprême de la souffrance, il enfantera le monde nouveau et racheté. Et de même qu’il a participé à l’effort suprême de la Mère, dont il était le fruit, il ne manquera pas non plus de faire participer la Mère à son suprême effort et à son fruit. C’est là la communion nouvelle à laquelle Siméon introduit la Mère du Sauveur et à laquelle à son tour elle introduit tous ceux qui auront part à la mission particulière de la Croix ». (Adrienne von Speyr, La Servante du Seigneur, Lethielleux, 1980, pp.90-91.)

(5) L’offrande de soi de la part de l’homme à la Mère du Christ. Jean-Paul II commente ainsi ce passage dans sa lettre de 1987, Marie Mère du Rédempteur : « Au pied de la Croix commence cette particulière offrande de soi de la part de l’homme à la Mère du Christ qui fut ensuite pratiquée et exprimée de diverses manières dans l’histoire de l’Église. Quand le même Apôtre et évangéliste, après avoir rapporté les paroles adressées par Jésus sur la Croix à sa Mère et à lui-même, ajoute : « Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit chez lui », cette affirmation veut dire, bien sûr, qu’au disciple fut attribué un rôle de fils et qu’il assuma la charge de la Mère de son Maître bien-aimé.Et parce que Marie lui fut donnée personnellement comme mère, l’affirmation signifie, même indirectement, tout ce qu’exprime le rapport intime d’un fils avec sa mère. Et tout cela peut s’inclure dans l’expression « offrande de soi ». L’offrande de soi est la réponse à l’amour d’une personne, et en particulier à l’amour de la mère.La dimension mariale de la vie d’un disciple du Christ s’exprime précisément, d’une manière spéciale, par cette offrande filiale à la Mère de Dieu, qui a commencé par le testament du Rédempteur sur le Golgotha. En se livrant filialement à Marie, le chrétien, comme l’Apôtre Jean, « reçoit parmi ses biens personnels » la Mère du Christ et l’introduit dans tout l’espace de sa vie intérieure, c’est-à-dire dans son « moi » humain et chrétien : « Il l’accueillit chez lui ».Il cherche ainsi à entrer dans le rayonnement de « l’amour maternel » avec lequel la Mère du Rédempteur « prend soin des frères de son Fils », « à la naissance et à l’éducation desquels elle apporte sa coopération » (L.G. 62-63) à la mesure du don qui est propre à chacun de par la puissance de l’Esprit du Christ. Ainsi également s’exerce la maternité selon l’Esprit, qui est devenue le rôle de Marie au pied de la Croix et au Cénacle » (n° 45).

(6) Marie connaissait personnellement les apôtres. Elle les avait rencontrés à Cana : « Jésus lui aussi fut invité à la noce ainsi que ses disciples. Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui » (Jn 2, 1.11). Marie se sera sûrement entretenue avec Jean, Simon-Pierre, Philippe et Nathanaël. Elle connaissait bien ces premiers disciples, et à Cana, ils surent que Marie était intervenue. Marie avait aussi rencontré les disciples à Capharnaüm : « Après quoi, il descendit à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples ; mais ils n’y restèrent que peu de jours » (Jn 2, 12). Elle est là présente au cœur du groupe des disciples qui croient en Jésus, et aussi au cœur de sa parenté, agitée de mille et une questions à propos de Jésus. Elle rencontre les disciples une fois encore quand elle va avec sa parenté trouver Jésus qui était occupé à enseigner : « Arrivèrent sa mère et ses frères. Restant dehors, ils le firent appeler. » (Mc 3, 31-35) Jésus parcourt du regard ceux qui sont assis en cercle autour de lui et ses disciples sont du nombre. Ils sont sa famille, et Jésus dit : « Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. Qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. » (Mt 10,37) Marie connaissait la mère des fils de Zébédée et les femmes qui suivaient Jésus (voir Lc 8, 1-8), puisqu’il s’en est trouvé plusieurs au pied de la croix (voir Mt 27, 56). Si l’on rapproche ces repères évangéliques, on se rend compte que Marie n’était pas une étrangère pour les apôtres ; elle les écoutait, était au courant de leurs problèmes, de leurs inquiétudes, des crises qu’ils traversaient, comme de leurs tourments.« Rentrés en ville, ils montèrent à la chambre haute où ils se tenaient habituellement… Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière avec quelques femmes, dont Marie mère de Jésus, et avec ses frères. » (Ac 1,13-14) Marie n’a pas directement reçu de Jésus une mission publique, comme l’est la mission apostolique. Mais elle était là, au cénacle, où les apôtres se préparaient à assumer leur mission, en recevant l’Esprit de vérité. Aujourd’hui encore, elle est en prière, demandant avec nous l’Esprit Saint pour la mission que Jésus nous confie. (DA).

(7) Elle était présente au milieu d’eux comme un témoin exceptionnel du mystère du Christ. « Au milieu d’eux, Marie était « assidue à la prière » en tant que « Mère de Jésus » (cf. Ac 1, 13-14), c’est-à-dire du Christ crucifié et ressuscité. Et le premier noyau de ceux qui regardaient « avec la foi vers Jésus auteur du salut » savait bien que Jésus était le Fils de Marie et qu’elle était sa Mère, et que, comme telle, elle était depuis le moment de la conception et de la naissance, un témoin unique du mystère de Jésus, de ce mystère qui s’était dévoilé et confirmé sous leurs yeux par la Croix et la Résurrection. Dès le premier moment, l’Église « regardait » donc Marie à travers Jésus, comme elle « regardait » Jésus à travers Marie. Celle-ci fut pour l’Église d’alors et de toujours un témoin unique des années de l’enfance de Jésus et de sa vie cachée à Nazareth, alors qu’« elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son cœur » (Lc 2, 19 ; cf. Lc 2, 51).À l’aube de l’Église, au commencement du long cheminement dans la foi qui s’ouvrait par la Pentecôte à Jérusalem, Marie était avec tous ceux qui constituaient le germe du « nouvel Israël ». Elle était présente au milieu d’eux comme un témoin exceptionnel du mystère du Christ. Et l’Église était assidue dans la prière avec elle et, en même temps, « la contemplait dans la lumière du Verbe fait homme ». Et il en serait toujours ainsi. » (Jean-Paul II, Marie, Mère du Rédempteur, 1987, n° 26-27)

(8) Les cinq écrits de Jean à la fin du ier siècle. Les lettres des apôtres (Paul, Jacques, Pierre), et les trois évangiles synoptiques, qui forment l’essentiel de notre Nouveau Testament, ont été mis par écrit juste avant la chute de Jérusalem en 70, entre 65 et 70.Avec saint Jean, nous sommes à la fin du premier siècle, environ vingt-cinq ans après la ruine de Jérusalem. Sous le règne de Domitien (vers 95), les persécutions reprennent. De plus, des hérétiques dénaturent le christianisme en prétendant que le Fils de Dieu n’a souffert qu’en apparence (docétisme).Le dernier survivant des Apôtres va réconforter les persécutés et combattre l’hérésie à travers cinq écrits.- L’Apocalypse dénonce vivement le culte impérial et exhorte à la résistance en dévoilant le sens de l’histoire du monde et en annonçant la victoire définitive de l’Agneau immolé.- Trois lettres sont envoyées aux chrétiens par le même Apôtre Jean pour leur rappeler ce qu’est la vraie foi que détruisent les hérétiques.- L’hérésie ayant fait des progrès, Jean lui oppose son témoignage oculaire dans un nouveau récit évangélique, historiquement plus précis que ceux de Matthieu, Marc et Luc. Il décrit la rencontre entre Dieu et l’homme, la lutte entre la vie et la mort et la victoire de l’amour. Le bien-aimé qui a reposé sur la poitrine du Maître révèle le mystère qu’il a contemplé, et nous donne en particulier le trésor de ces dernières paroles de Jésus prononcées dans les dernières heures de sa vie.Il faut souligner ici que Jean donne intentionnellement plus d’épaisseur à l’humanité de Jésus pendant ces dernières heures en s’attardant à développer les paroles prononcées, là où les synoptiques étaient quasiment muets. Le style évangélique en général, en effet, est toujours très sobre. Et ici, Jean développe longuement. N’oublions pas que l’hérésie qui marquait son époque, le docétisme, avait tendance à « gommer » la réalité de l’humanité de Jésus. Jean nous montre un Jésus très humain, très conscient, très soucieux du groupe des Douze, leur laissant ses ultimes consignes.

(9) « Le terme technique de « dormition » désigne dans la tradition chrétienne les derniers instants de la vie terrestre de Marie. En effet, la tradition juive parlait des justes qui s’endormaient et qui étaient réunis avec leurs pères. L’icône de la Dormition est justement célèbre : au centre figure Marie, étendue sur son lit de mort. Elle est curieusement entourée des douze apôtres. Le Christ en gloire, enveloppé dans une mandorle, apparaît auprès de sa mère et prend dans ses bras l’âme de Marie représentée par un petit enfant vêtu de linges blancs. Pour comprendre la théologie de l’icône, il n’y a pas d’autre choix que de se référer à l’apocryphe connu sous le nom de Dormition de Marie.Cet apocryphe traduit en différentes langues est très ancien. Il provient des milieux judéo-chrétiens de Jérusalem et pourrait dater de la fin du iie siècle après J.-C. L’apocryphe décrit les derniers instants de Marie sous la forme littéraire du testament. Le pape Jean-Paul II a cité ce texte dans son homélie de l’Assomption, en 1998, lui donnant ainsi un certain crédit.[…] La définition du dogme de l’Assomption de la Vierge n’a pas voulu se prononcer sur le problème de la mort de Marie. Pour l’auteur de l’apocryphe, Marie n’a pas eu un privilège supérieur à celui de son fils. Puisque le corps du Christ reposa au tombeau trois jours, celui de Marie connut le même sort. L’existence du tombeau traditionnel de Marie dans la vallée du Cédron a obtenu de nouvelles lettres de créance depuis les fouilles archéologiques de 1972 dues à une inondation providentielle. Les archéologues ont la certitude que la tombe vénérée de Marie à Jérusalem est une tombe taillée dans le rocher remontant au ier siècle. Bien plus, elle fait partie d’un complexe de trois chambres funéraires. Or, la version syriaque de l’apocryphe fait mention des trois chambres. […] Terminons en reproduisant la finale de l’apocryphe de la Dormition de Marie :« Les apôtres transportèrent Marie à sa tombe. Ils déposèrent son corps et s’assirent ensemble, attendant le Seigneur comme il le leur avait ordonné […J Voici que nous demeurons ici trois jours comme le Seigneur l’a demandé » (R 45).« Ils discutaient entre eux de l’enseignement, de la foi et de beaucoup d’autres sujets, assis devant la porte du tombeau, quand soudain arriva des cieux le Seigneur Jésus-Christ avec Michel et Gabriel. Il s’assit au milieu des disciples… » (R 46).« Il donna alors un signal à Michel avec la voix propre des anges et les nuées descendirent vers lui. Le nombre des anges dans chaque nuée qui chantaient était de mille anges devant le Sauveur. Le Seigneur dit à Michel de prendre le corps de Marie sur la nuée tout près de lui. Quand ils furent montés dans la nuée, ils chantaient des hymnes avec des voix d’ange. Le Seigneur ordonna aux nuées de partir vers l’Orient, vers les régions du Paradis » (R 47).« À peine arrivés au Paradis, ils déposèrent le corps de Marie sous l’arbre de vie. Michel apporta son âme sainte et ils la déposèrent dans son corps. Et le Seigneur envoya les apôtres dans leurs contrées pour (proclamer) la conversion et le salut des hommes. À lui conviennent la gloire, l’honneur et le pouvoir pour les siècles des siècles » (R 48). » (P. Frédéric Manns, « Heureuse es-tu, toi qui as cru. Marie, une femme juive », Presses de la Renaissance, 2005, pp. 155-179).

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