Quand on dit : Bonne année !, ce n’est pas uniquement pour faire plaisir

de Jean Duchene, sur le site Aleteia

La saison des vœux est le sympathique prétexte pour chacun de dire aux autres, en commençant par ses proches, le bien qu’il leur souhaite. On peut aller jusqu’à préciser ce qui apparaît désirable pour tel ou tel, en plus d’être épargné par les pépins de santé et les épreuves qui laissent des cicatrices. On peut aussi « arroser » plus largement en portant le regard plus loin et même très loin. C’est finalement un exercice qui pousse à se demander, par-delà le respect d’une tradition purement formelle, ce que l’on veut vraiment – pas seulement pour soi, mais ce qui tient au cœur quand on l’ouvre, ce qui est espérable et ce qui n’est pas gagné d’avance.

Faire des vœux, c’est aussi prier

Pour y réfléchir, on peut s’interroger sur le sens du mot « vœu ». Il vient du latin votum, lequel s’utilise dans deux registres différents. D’une part celui d’une promesse ou d’un engagement, voire d’une consécration. Présenter des vœux, c’est ainsi, d’une certaine manière, un acte religieux, où la volonté que l’on manifeste prend comme témoin, caution et soutien une volonté supérieure et bienveillante à laquelle elle s’efforce de s’accorder. Cette dimension est généralement implicite, voire refoulée. Il ne reste plus alors qu’une simple politesse conventionnelle.

Si l’on est chrétien, par contre, quand on dit : « Bonne année ! », ce n’est pas uniquement pour faire plaisir à ceux que l’on rencontre le 1er janvier et dans les jours qui suivent. Plus profondément, c’est l’annonce de prières sans relâche et d’intercessions pour que la volonté de Dieu soit faite – non pas les caprices de quelque tyran, mais l’accueil de la vie qu’il donne et que l’on reçoit pour autant qu’on la remet à sa disposition, afin qu’elle soit transmise et qu’ainsi soit vaincu le mal qui finit par tuer ce dont il s’empare. Il s’agit de se laisser entraîner dans la dynamique de la vie divine dont la bonté et la gloire transpercent la nuit qui enveloppe la crèche de Bethléem, puis l’obscurité qui s’abat sur Jérusalem l’après-midi du Vendredi saint. Que souhaiter de mieux ou de plus beau, pour soi-même et pour autrui ?

Des votes et des vœux  

Dans un ordre plus empirique, votum a également donné « vote ». Ce qui est formulé là n’est plus un désir que la seule volonté humaine ne suffirait sans doute pas à satisfaire. C’est un choix opéré de manière souveraine, une préférence manifestée de façon sélective entre un nombre limité d’options dans un domaine particulier. Les Français sont invités à se livrer une nouvelle fois au printemps prochain à cet autre exercice « votif ». Les enjeux ne sont pas nuls. Mais, quel que soit le « verdict des urnes », il n’en sortira pas la solution de tous les problèmes ni, inversement, un désastre irrémédiable. Tout cela restera du quantifiable : on comptera les voix, puis l’évaluation de l’action des élus se basera sur des chiffres (indicateurs économiques et sociologiques, statistiques tous azimuts, sondages d’opinion, etc.). Et tout cela restera précaire, car aucun triomphe n’est définitif en politique.

Tous ces calculs qui seront faits n’interdisent pas du tout d’exprimer déjà des souhaits. Au contraire : les votes ne rendent pas superflus les vœux et donc les prières. La première espérance à partager est probablement qu’une alliance circonstancielle de dogmatismes et d’égoïsmes ne l’emportera pas sur le souci du bien commun et de la dignité de chaque personne, non seulement dans la communauté nationale, mais encore sous tous les horizons. Le propre des élections est de diviser un peuple. Elles ne créent pas les oppositions ; elles les révèlent et les cristallisent ; tout au plus, elles les exaspèrent. Le « vivre ensemble » doit ensuite se reconstruire autour d’une certaine communion. Et ce qui peut la réaliser n’est pas un minimum aussi tacite que possible, bricolé à force d’omissions et de compromis, mais un accord plus qu’implicite sur les raisons qui font que la vie vaut la peine d’être vécue, même si le tragique ne peut en être totalement évacué.

Et d’autres souhaits encore

Ce qui conduit à former d’autres vœux. D’abord celui que sera honnêtement reconnu le rôle de la foi chrétienne, qui ne revendique aucun pouvoir, dans le développement de la culture contemporaine, aux niveaux scientifique et technologique aussi bien qu’artistique et politique, au point que la rejeter dans la sphère du privé en escomptant qu’elle disparaîtra condamnerait à deux capitulations : d’une part abandonner l’humain et la société à ce que peuvent en faire les manipulations disponibles (biologiques ou publicitaires) ; d’autre part renoncer à comprendre et donc subir désarmés le « retour du religieux », qu’il soit islamique, hindouiste, bouddhiste, syncrétiste, identitaire ou simplement superstitieux.

À ce propos, il faut prier pour les musulmans. La vie n’est pas facile pour eux. Il leur faudra sans doute du temps pour redécouvrir et purifier les sources de leurs pratiques. Pour l’heure, ce n’est pas contre l’Occident sécularisé qu’ils se tournent en premier, mais bien plus systématiquement et massivement les uns contre les autres au Moyen Orient. Tout impressionnant qu’il soit, le terrorisme djihadiste fait figure d’exportations sporadiques et anarchiques de haines meurtrières qui se déploient sans frein là où sont nées les premières grandes civilisations et où sont broyées les minorités (chrétiennes, bahaïste, yézidiste, etc.). Et il n’y a pas que la Syrie et l’Irak, mais encore le Yémen, la Libye, l’Afghanistan…

Il y a bien d’autres vœux à faire. Il suffit de vouloir et, comme l’imagination cale vite, de regarder autour de soi et de voir où la volonté de Dieu est ignorée ou risque de l’être. C’est alors que le souhait prend forme, que le désir désintéressé du bien d’autrui se transforme en prière et que le règne de Dieu se rapproche.